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> Cathétérisme des canaux lacrymaux : indication et réalisation pratique

Sabine CHAHORY
Service D'ophtalmologie, Chuva, Enva
Maisons-Alfort France

I- Introduction

Cet acte s’inscrit dans une démarche clinique d’exploration de la perméabilité des voies lacrymo-nasales, ont pour rôle d’évacuer le film lacrymal qui ne s’est pas évaporé après étalement à la surface du globe oculaire.

Chez le chien et le chat, les voies lacrymales excrétrices sont constituées [1,2] :

  • des canalicules lacrymaux, un inférieur et un supérieur, qui partent des points lacrymaux localisés 2 à 5 mm temporalement au canthus médial, puis, après un court trajet sous-conjonctival, parallèle au bord de la paupière, se rejoignent dans le sac lacrymal ;
  • des voies lacrymo-nasales (une de chaque côté), long canal qui prolonge le sac lacrymal et qui, après un trajet intra-osseux, débouche le plus souvent par un ostium nasal, localisé dans la cavité nasale.

II- Indications

Chez les carnivores domestiques, le cathétérisme des voies lacrymo-nasales est indiqué lors d’épiphora (écoulement de larmes en dehors des voies lacrymales) sans cause identifiée, ou lors de sécrétions mucopurulentes ou sanieuses issues du point lacrymal (suspicion de dacryocystite, inflammation des canalicules et du sac lacrymal) [3].

1. Exploration de la perméabilité des voies lacrymales

La perméabilité des voies lacrymo-nasales est, dans un premier temps, apprécié par le test de Jones, ou test de perméabilité des voies lacrymales : une goutte de fluorescéine, de préférence sous forme de collyre, est instillée à la surface de l’œil de l’animal, sans rinçage. La tête de l’animal est ensuite dirigée vers le sol, pendant quelques minutes. Au bout de ce temps, le clinicien vérifie que la fluorescéine ressort par la narine de l’œil testé. Chez certains animaux (les chiens brachycéphales ou les chats), le canal lacrymo-nasal débouche dans l’oropharynx. Si la fluorescéine ne ressort pas par la narine, il est indispensable de vérifier si le colorant n’est pas ressorti dans la cavité buccale (3).

En l’absence de passage du colorant, une imperméabilité des voies lacrymales est suspectée, justifiant un cathétérisme.

2. Prise en charge d’une dacryocystite

La dacryocystite est une atteinte inflammatoire des voies lacrymo-nasales, qui peut faire suite à une infection ou à la présence d’un corps étranger (épillet). Le cathétérisme des voies lacrymo-nasales peut être indiqué pour favoriser l’expulsion d’un corps étranger végétal logé dans le sac lacrymal ou dans un canalicule [3].

L’injection d’une solution antibiotique et/ou anti-inflammatoire peut être nécessaire dans la prise en charge d’une obstruction des voies lacrymales, notamment chez le chat, bien que la perméabilité obtenue soit généralement temporaire [4].

3. Dacryocystorhinographie ou dacryoscanner

En cas de suspicion d’obstruction des voies lacrymo-nasales, des examens d’imagerie (une radiographie ou un scanner de la tête) sont indiquées, avant et après injection d’un produit de contraste dans les voies lacrymo-nasales. L’injection du produit de contraste se réalise selon le même procédé que le cathétérisme des voies lacrymales [3].

III- Technique

1. Matériel nécessaire

Le cathétérisme des voies lacrymales ne nécessite pas de matériel spécialisé, hormis les canules à voies lacrymales (2)  :

  • une canule à voie lacrymale à usage unique ou réutilisable, souple ou rigide;
  • une seringue de 2 ou 5 ml;
  • un anesthésique topique (Tétracaïne collyre®);
  • une unidose de fluorescéine collyre;
  • du soluté physiologique stérile.

Cet acte peut se réaliser sans système grossissant, mais le recours à des lunettes loupes est une aide précieuse pour visualiser le point lacrymal.

2. Réalisation du cathétérisme des points lacrymaux

Le cathétérisme des voies lacrymales peut se réaliser sur un animal vigile calme, après une anesthésie topique des surfaces oculaires par instillation de Tétracaïne collyre (3). L’acte n’est pas douloureux, mais il est minutieux et l’animal ne doit pas bouger au moment de l’introduction de la sonde dans le canalicule lacrymal, au risque de le léser. En cas d’animal peu coopératif ou par manque d’expérience du clinicien, nous recommandons une sédation, voire une anesthésie générale de courte durée.

Chaque canalicule lacrymal est cathétérisée séparément, selon la même procédure.

La seringue, remplie de sérum physiologique, est fixée sur la canule à voie lacrymale. Le bord médial de la paupière est éversé à l’aide d’un doigt pour visualiser et dégager le point lacrymal et le pousser légèrement antérieurement. A l’aide de l’autre main, la canule est introduite dans le point lacrymal éversé ; elle est dirigée selon le trajet anatomique du canalicule lacrymal, c’est-à-dire parallèle au bord libre de la paupière en direction du sac lacrymal (Figure 2).

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Figure 2 : Cathétérisme du point lacrymal inférieur chez un chien, sous anesthésie générale. Crédit : Sabine Chahory

Avant d’injecter le soluté physiologique, le point lacrymal opposé est fermé par pression d’un deuxième doigt de la main qui sert à éverser la paupière. Ce geste est important, car les deux canalicules communiquent entre eux. L’obstruction manuelle du point lacrymal opposé à celui qui est cathétérisé permet d’orienter le soluté injecté dans le sac lacrymal puis dans la voie lacrymo-nasale. Si le point lacrymal opposé n’est pas obstrué, le soluté va ressortir facilement par ce point lacrymal. Une fois que tout est en place, le soluté est injecté avec une certaine pression. Si les voies lacrymales sont perméables, le soluté ressort soit par la narine du même côté, soit dans la cavité buccale. Sur les animaux non anesthésiés, un réflexe de déglutition est souvent observé au moment de l’injection du soluté si les voies sont perméables [3].

Recommandations

  1. Choix des canules à voies lacrymales

Différents types de canules à voies lacrymales sont utilisables, laissé à l’appréciation du clinicien :

    • Les canules à usage unique souples présentent l’avantage d’être moins traumatisantes au moment de l’introduction dans le canalicule lacrymal. Par ailleurs, il existe plusieurs diamètres, choisi en fonction de la taille du canalicule. Il est également possible d’utiliser un cathéter intraveineux, sans le mandrin. L’inconvénient majeur des canules souples est lié au manque de rigidité de l’embout, qui peut rendre plus difficile le cathétérisme du canalicule, avec parfois un embout qui se plie à l’entrée du canalicule. Pour cette raison, ces canules souples n’ont pas notre préférence.
    • Les canules rigides, métalliques, soit réutilisables, soit à usage unique : à l’inverse des canules souples, leur rigidité facilite l’introduction dans le canalicule. Mais leur utilisation doit être réservée à un animal calme ou sédaté, sinon le risque de léser le canalicule est majoré. Les modèles à usage unique, commercialisés par la société MORIA, ont notre préférence en raison du petit diamètre de l’embout, qui est adapté aux canalicules du chien et du chat.
  1. Coloration du liquide de drainage

Le sérum physiologique qui va être injecté dans les voies lacrymo-nasales peut être coloré avec de la fluorescéine, pour faciliter la visualisation du liquide qui doit ressortir par la narine ou dans la cavité buccale.

  1. Obstruction du point lacrymal opposé par un aide à l’aide d’un coton-tige

En cas de difficulté pour le clinicien de maintenir la paupière éversée, obstruer le point lacrymal opposé et injecter le soluté, seul, il est possible de demander à un aide d’appliquer doucement un coton-tige sur le point lacrymal opposé pour le fermer [3].

  1. Résistance à l’injection sous pression

En cas de difficulté à injecter le liquide, il est conseillé de mobiliser légèrement la canule introduite dans le canalicule, dont l’extrêmité peut être collée sur la paroi du canalicule.

3. Réalisation du cathétérisme par voie rétrograde

Lorsque le cathétérisme des voies lacrymo-nasales par la voie « classique », à partir des points lacrymaux, est infructueux, un cathétérisme dit « rétrograde », à partir de l’ostium nasal peut être tenté. Cette technique nécessite une anesthésie générale chez la plupart des animaux (excepté les grandes espèces). Un spéculum est introduit dans la narine afin de visualiser l’ostium nasal, localisé à la jonction entre le plancher ventral et la paroi latérale de la narine chez le chien. Une rhinoscopie peut faciliter le repérage du méat. Un cathéter intraveineux de 24 G monté sur une seringue de 3 ml remplie de liquide physiologique est délicatement introduit dans l’ostium nasal. Le liquide physiologique est ensuite injecté doucement dans le canal lacrymo-nasal. Si les voies lacrymales sont perméables, le liquide doit ressortir par les points lacrymaux (2).

Très pratiquée dans l’espèce équine, cette approche l’est beaucoup moins chez les carnivores domestiques en raison de l’accès difficile de l’ostium nasal.

IV- Complications

Si l’acte est réalisé sous sédation ou anesthésie générale, les complications sont rares.

1. Lésion du point ou du canalicule lacrymal

Les déchirures du point lacrymal surviennent principalement lorsque l’on utilise une canule rigide, sur un animal vigile, qui peut bouger intempestivement au moment de l’injection du liquide. Si le retrait de la canule n’est pas contrôlé, une déchirure du point lacrymal et du canalicule peut survenir. La fibrose cicatricielle risque de rendre le canalicule non fonctionnel de façon définitive.

2. Perforation du canalicule lacrymal

Sur un animal anesthésié, en dehors de tout mouvement de tête incontrôlé, il peut arriver de léser le canalicule ou le sac lacrymal avec l’embout d’une sonde rigide, ou à la suite d’une pression trop forte du liquide au moment de l’injection. Dans ce cas, le liquide va diffuser dans la conjonctive palpébrale autour du canalicule, ce qui va provoquer un gonflement des tissus. La résorption se fera spontanément, mais le risque d’imperméabilité du canalicule après cicatrisation est élevé.

V- Conclusion

Le cathétérisme des voies lacrymales est un acte simple à réaliser, indiqué pour l’exploration de la perméabilité des voies lacrymo-nasales ou la visualisation des voies lacrymales par injection d’un produit de contraste radiographique. Les complications sont rares si l’acte est réalisé selon les bonnes pratiques.

Bibliographie

  1. Miller PE. Appareil lacrymo-nasal. In: Ophtalmologie vétérinaire, Slatter, co-auteurs David J Maggs, Paul E Miller, Ron Ofri, traduction française. 5ème. MED’COM; 2015. p. 165-83.
  2. Sandmeyer LS, Grahn BH. Diseases and Surgery of the Canine Nasolacrimal System. In: Veterinary Ophthalmology. Gelatt KN, editor. Hoboken, USA: Wiley Blackwell; 2021. p. 988-1007.
  3. Featherstone HJ, Heinrich CL. Ophthalmic Examination and Diagnostics. Part 1: The Eye Examination and Diagnostic Procedures. In: Veterinary Ophthalmology Edited by Gelatt KN, Ben-Shlomo G, Gilger BG, Hendrix DVH, Kern TJ, Plummer CE. 6th éd. Hoboken (USA): John Wiley&Sons; 2021. p. 564-661.
  4. Glaze MB. Feline Ophthalmology. In: Veterinary Ophthalmology, edited by KN Gelatt. Blackwell Wiley. 2021. p. 1665-840.

 

Pas de conflit d'intérêt déclaré.

> Conjonctivite folliculaire

Aurélie BOURGUET
Service d'ophtalmologie, Centre Hospitalier Vétérinaire Atlantia
Nantes France

I- Introduction

Les conjonctivites sont des affections fréquentes en médecine vétérinaire et particulièrement chez les carnivores domestiques. Elles se définissent comme une inflammation des tissus conjonctivaux palpébraux et bulbaires caractérisée par une dilatation vasculaire, un œdème conjonctival et une infiltration tissulaire par des cellules inflammatoires dont la nature varie en fonction de l’origine et du caractère aigu ou chronique de cette conjonctivite.

La première étape du diagnostic de ces conjonctivites va donc être la réalisation d’un examen ophtalmologique complet de l’œil et de ses annexes incluant un minimum d’examens complémentaires :  test de Schirmer, test à la fluorescéine, mesure de pression intraoculaire, et si indiqué, analyse cytologique, cultures ou biopsies.

Le diagnostic différentiel des conjonctivites est vaste allant de l’origine traumatique à la maladie systémique avec engagement du pronostic vital de l’animal, et varie en fonction des espèces. Connaître ces causes peut aider à classer les diagnostics différentiels par ordre de priorité. Parmi ces différentes causes possibles, la conjonctivite folliculaire fait partie des causes les plus fréquentes de conjonctivite du jeune chien. Savoir la reconnaitre et savoir la traiter sont donc nécessaire dans la pratique quotidienne.

II- Présentation clinique

Les conjonctivites folliculaires sont essentiellement des conjonctivites du jeune affectant surtout les chiens de moins de 18 mois, de façon plus anecdotique des formes plus tardives sont également possibles sur l’animal adulte. La pathogénie exacte de ces conjonctivites reste non complètement élucidée, cependant, une origine allergique suite à une stimulation antigénique chronique reste l’hypothèse la plus probable.

Cliniquement elles se caractérisent par les signes classiques de conjonctivite, à savoir une hyperhémie conjonctivale (palpébrale et bulbaire), des sécrétions oculaires muqueuses à mucopurulentes, et des signes inconstants de douleur oculaire (blépharospasme, prurit oculaire). Leur particularité clinique est la présence de nombreux follicules hypertrophiés majoritairement sur la face interne de la membrane nictitante, mais également, dans une moindre mesure, sur toute la conjonctive. Dans les cas les plus sévères, une discrète uvéite antérieure secondaire par réflexe antidromique peut être observée.

III- Exploration

Lors de l’exploration clinique d’une conjonctivite, une inspection minutieuse des culs de sac conjonctivaux est essentielle pour exclure une cause parasitaire, un corps etranger ou une composante folliculaire entre autres causes. Cette exploration se fait sous anesthésie locale à la tetracaïne ou oxybuprocaïne et à l’aide d’une pince atraumatique à bord large de type pince de Graeffe. La membrane nictitante est saisie à l’aide de cette pince et inspectée en réalisant une traction et une éversion pour en observer en face interne, externe ainsi que tous les culs de sac conjonctivaux.

L’hypertrophie folliculaire n’est pas pathognomonique d’une conjonctivite allergique, cependant la présence de follicules hypertrophiés en grande quantité en face interne de la membrane nictitante, chez un jeune chien, sans autre cause évidente de conjonctivite est fortement évocatrice d’une conjonctivite folliculaire.

IV- Traitement

Le traitement repose sur la réalisation de soins locaux au sérum physiologique et un traitement topique (collyre ou pommade) à base de dexaméthasone 3 à 4 fois par jour pendant quinze jours.

V- Suivi

Ces conjonctivites peuvent avoir tendance à récidiver pendant les deux premières années de vie du chien. En cas de rechute trop rapprochée de la crise initiale, une prise en charge plus longue sur 6 semaines, avec diminution progressive de la fréquence d’administration en dexaméthasone par paliers de 15 jours, permet de gérer la majorité des cas réfractaires. Une action combinée d’une pommade associant dexaméthasone et oxytétracycline est également intéressante pour la valence immunomodulatrice des tétracyclines.

Dans les rares cas ne répondant pas à ce traitement antiinflammatoire prolongé, un débridement mécanique des follicules à l’aide d’un coton tige ou d’une lame émoussée d’un scalpel sous anesthésie locale ou sédation peut être entrepris. Une excision chirurgicale ou une cautérisation de ces follicules n’est pas souhaitable car ce tissu lymphoïde participe au système de défense oculaire.

Pas de conflit d'intérêt déclaré.

> Lacération cornéenne par griffure de chat : une urgence !

Sophie COGNARD
Clinique Ducs De Bourgogne
Chenove France

I- Introduction

La lacération de cornée par griffure de chat est une plaie fréquente dans la pratique vétérinaire, contrairement à la pratique humaine où les projectiles vulnérants (métalliques ou végétaux) sont légion. Le tableau tristement classique est le coup de patte du chat domestique autochtone, agacé par l’arrivée récente du jeune chiot inexpérimenté dans la maisonnée. Les griffures lors de bagarres entre chats sont plus rares mais sont à repérer également.

II- Définition

Par définition, la lacération cornéenne est une plaie de cornée, causée par une « arme » tranchante. Le présent propos traite spécifiquement des plaies par griffures de chat, rencontrées particulièrement sur de jeunes chiots (moins de 6 mois) ou des chats ayant accès à l’extérieur et plus âgés (3 ans en moyenne). Il est fondamental de distinguer ulcère et plaie cornéenne, car la prise en charge est totalement différente.

III- Diagnostic

1. Plaie cornéenne/ sclérale/ conjonctivale

La griffe de chat est coupante et le coup de haute vélocité : elle occasionne souvent des coupures sous forme de traits, plus ou moins curvilignes ou en T, moins souvent ponctiformes. L’impact est douloureux et le motif de consultation est souvent le blépharospasme et l’épiphora associé. Lorsqu’il est rapporté un écoulement très abondant, ou hémorragique ou collant (fibrine pathognomonique), il s’agit d’humeur aqueuse qui s’écoule par une plaie perforante. La conjonctive peut être atteinte concomitamment, occasionnant une douleur fugace, éventuellement un discret saignement mais souvent sans conséquence en raison de son haut pouvoir de cicatrisation, même lors de délabrement important.

La cornée, elle, doit être examinée avec attention et en tenant compte du fait qu’on sous-estime toujours la profondeur et la gravité de l’atteinte de prime abord, en consultation. En effet, l’œdème cornéen qui s’installe immédiatement après l’impact et la fibrine qui colmate les plaies perforantes masquent la réalité de l’atteinte et rendent l’œil étanche. Le test de Seidel (fuite d’humeur aqueuse mise en évidence par la dilution d’une goutte de fluorescéine déposée sur la cornée) est souvent négatif pour ces raisons. On distingue les plaies ponctiformes, les plaies non perforantes (et scalps) et les plaies perforantes dont les prises en charge et les bilans sont différents. Les plaies ponctiformes pourraient être confondues avec les ulcères de même forme, elles ne marquent pas ou peu la fluorescéine, ne présentent pas de perte de substance stromale mais un impact œdématié. Les scalps sont des coupures obliques du stroma, à bords dyssymétriques, œdématiés, interdisant un affrontement spontané des marges. Les plaies perforantes s’accompagnent classiquement d’œdème en raison de la rupture de l’endothélio-descemet ; en outre, elles peuvent être repérées par la coloration pathognomonique de la fibrine qui s’y dépose, brun grisâtre, parfois avec des débris noirs uvéaux. Lorsque l’iris s’y engage (sous la forme d’une iridocèle), la plaie perforante retient un tissu brun parfois verdâtre ou irisé recouvert lui-même de fibrine gluante. Ce sont parfois les lésions de la chambre antérieure qui informent sur le caractère perforant de l’impact.

Les plaies cornéennes peuvent s’accompagner de plaies sclérales, dans leur prolongement (provoquées par la même griffe) ou à distance (impact de la griffe voisine). Ces dernières sont difficiles à mettre en évidence, recouvertes de conjonctive, mais repérables parfois par la couleur brunâtre de pigments uvéaux. C’est parfois lors d’exploration chirurgicale qu’elles sont mises à jour et corrigées.

2. Bilan

De la profondeur et de la gravité des plaies de cornée dépend la prise en charge. Il est donc fondamental, en cas de lacération cornéenne, notamment par griffure de chat, d’établir un bilan soigneux.

a) De la chambre antérieure

Une lacération sans perforation peut entrainer, dans une certaine mesure, un myosis réactionnel (uvéitique) à cause de la cinétique de l’impact mais sans autre modification de la chambre antérieure. A l’inverse, la présence d’un floculat de fibrine en chambre antérieure signe a minima une perforation, et une hémorragie en chambre antérieure est la conséquence d’un accroc sur une structure uvéale (iris, corps ciliaire…). Cette présence gênant l’observation directe des structures postérieures, le recours à l’échographie conventionnelle est une aide précieuse pour localiser le plan irien et bien sûr le cristallin. L’iris est parfois engagé dans la plaie cornéenne, traversant ainsi la chambre antérieure ; il y est parfois juste adhérent par de la fibrine et formera une synéchie antérieure. La repérer pour la libérer (médicalement ou chirurgicalement) augmentera la récupération de la motricité pupillaire et de la vision.

b) Du cristallin

Deux données sont à analyser : la présence de brèche capsulaire antérieure (plus rarement postérieure), plus ou moins béante, et la présence de cataracte par désorganisation spatiale des fibres cristalliniennes. Les plaies capsulaires ne sont pas forcément faciles à visualiser en elles-mêmes, les bords réfringents contrastent avec le reste de la capsule intacte. C’est souvent la protrusion de matériel cristallinien, blanc bleuté lorsqu’il est traumatisé, dans la brèche soulevée, qui la révèle. Lors de plaie capsulaire ponctiforme, on peut ne repérer qu’une cataracte (opacifications localisées, hétérogènes) sous le point d’impact, en visualisation directe ou en rétro-illumination. Elle s’installe soit d’emblée, soit dans un délai court (1 à 30 jours). Là encore, l’échographie même conventionnelle permet d’évaluer ces lésions lorsque les milieux ne sont pas transparents : le cristallin cataracté apparait à contenu hyperéchogène alors qu’il ne devrait apparaitre que sous la forme de 2 lignes fines échogènes (capsules antérieure et postérieure) séparées par un noir absolu en échographie.

c) Du segment postérieur

Plus rares lors de lacérations cornéennes par griffure de chat, les lésions du segment postérieur sont à évaluer en échographie : on recherchera, en observation directe ou échographie, les ruptures de capsule postérieure, les hémorragies vitréennes, qui assombrissent toutes deux, très notoirement, le pronostic de récupération visuelle.

IV- Prise en charge 

La prise en charge doit être diagnostique, médicale, +/- chirurgicale et les contrôles répétés autant que nécessaire en fonction de la gravité et de l’évolution.

1. Médicale

Le pronostic de récupération visuelle est amélioré si le délai de prise en charge, au moins médicale, est court (Paulsen 2012). Idéalement, le traitement doit être mis en place dans les 24-48h. Les effets délétères des lacérations cornéennes sont dus à l’impact, au risque septique et à la réponse immunitaire qui se met en place. En conséquence, la prise en charge classique comprend un volet local à base d’AINS collyre (Flurbiprofène par exemple) avec une antibiothérapie, un mydriatique pour limiter les synéchies (Tropicamide ou Atropine) et par voie générale une antibiothérapie avec des corticoïdes. La nature des antibiotiques préconisés diffère selon les équipes : il parait raisonnable de respecter la cascade classique (amox/ ac clavulanique) bien que certains recommandent d’emblée des fluoroquinolones en raison des isolats bactériens rencontrés sur les griffes de chat (Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa, β-hemolytic Streptococci, Pasteurella multocida, Bartonella henselae, Moraxella spp., Staphylococcus spp., Streptococcus spp.). L’intensité du traitement et sa durée sont fonction de la profondeur de la lésion.

2. Chirurgicale

a) Cornéenne et sclérale

En cas d’atteinte autre que ponctiforme et étanche au moment de la prise en charge, la recommandation classiquement admise est d’explorer chirurgicalement la plaie (avec un système grossissant, microscope opératoire idéalement), très souvent plus grave qu’initialement évaluée. Les marges des scalps sont réapposées, les sutures s’efforcent de rapprocher les bords de l’endothélio-descemet, pour limiter l’œdème cornéen, avec des points classiques, non perforants 9/0 ou 10/0, résorbables.  En cas de perforation, la chirurgie est l’occasion de retirer la fibrine des berges de la plaie et de la chambre antérieure. Une bulle d’air peut être injectée en fin d’intervention pour limiter les synéchies antérieures. Les plaies sclérales, avec hernie uvéale, sont suturées avec des fils plus gros (7/0 par exemple) et nécessitent parfois d’inciser la conjonctive pour une meilleure visualisation.

b) Cristallinienne

Classiquement, en cas de brèche capsulaire de plus de 1,5mm et/ ou d’opacifications de cataracte (par désorganisation mécanique des fibres), il est recommandé d’intervenir pour extraire le cristallin en phacoémulsification, comme pour une chirurgie classique de cataracte (Davidson 1991). L’objectif est d’une part de redonner de la transparence perdue (avec implantation d’un cristallin artificiel quand c’est possible) et d’autre part stopper l’origine de l’uvéite généralement grave, dite « phacoclastique », qui s’installe lorsque les protéines cristalliniennes habituellement séquestrées entrent en contact avec le système immunitaire oculaire. Chez l’homme, le délai admis entre l’impact et la chirurgie est d’une semaine ; chez nos animaux, un délai court (1à 3j) est recommandé : il permet d’obtenir une fenêtre optimale d’effet des anti-inflammatoires avec l’arrêt des saignements éventuels, avant l’aggravation de la cataracte, de l’uvéite ou de l’endothélite chez les jeunes. Le pronostic diffère en fonction de l’âge des animaux, il est meilleur sur les adultes que sur les chiots de moins de 6 mois (Braus 2017). Lorsque l’impact capsulaire est petit, la brèche non béante et la cataracte mineure, notamment chez le chat, un traitement médical seul et une surveillance de l’évolutivité de la cataracte sont possibles. Les opacifications évolutives et les éventuels abcès lenticulaires peuvent se produire dans le mois suivant la lacération.

Ces recommandations classiquement admises ont été modérées par le travail d’une équipe américaine (Paulsen 2012) ayant traité médicalement, précocement, sans chirurgie des lacérations cornéennes avec brèches capsulaires et aboutissant à des résultats satisfaisants. Au-delà des discussions polémiques, on retiendra qu’en cas d’impossibilité de chirurgie, le traitement médical doit être mis en place précocement, de façon intensive et peut permettre de sauver l’œil et la vision.

V- Conclusion

Les lacérations cornéennes par griffure de chat sont à prendre en charge en urgence : une évaluation minutieuse permet de poser un bilan sur la totalité de l’œil, de mettre en place immédiatement la procédure médicale et de poser, ou non, une indication chirurgicale.

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Photo 1: Aspect classique d’une lacération cornéenne par griffure de chat, chez un chien de 2 ans, avec atteinte cristallinienne : fibrine et œdème sur la plaie cornéenne, effondrement de la chambre antérieure avec amas blanchâtre de protéines cristalliniennes.

 

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Photo 2 : Cataracte avec implantation septique un mois post-trauma, sous traitement médical chez un chien de 4 ans.

Bibliographie

  1. Paulsen ME, Kass PH. Traumatic corneal laceration with associated lens capsule disruption: a retrospective study of 77 clinical cases from 1999 to 2009. Vet Ophthalmol. 2012;15(6):355-368.
  2. Davidson MG et al. Traumatic anterior lens  capsule  disruption. Journal of the American Animal Hospital Association 1991;27: 410–414.
  3. Braus BK et al. Outcome of phacoemulsification following corneal and lens laceration in cats and dogs (2000-2010). Vet Ophthalmol. 2017;20(1):4-10.
Pas de conflit d'intérêt déclaré.

> Ophtalmie neonatale et ouverture des paupières

Aurélie BOURGUET
Service D'ophtalmologie, Centre Hospitalier Vétérinaire Atlantia
Nantes France

I- Introduction

Les paupières sont de fines structures mobiles composées de tissu cutané, de conjonctive palpébrale, de collagène, de muscle et de tissu glandulaire. Elles peuvent être divisées en deux parties : la paupière supérieure plus grande et plus mobile, et la paupière inférieure. Leur fonction première est la protection du globe par action mécanique directe, par leur fermeture active lors de stimulation tactile ou de lumière intense et leur capacité de piégeage et d’expulsion des corps étrangers cornéens et conjonctivaux. Elles participent également à la production lacrymale par les glandes de Meïbomius, à la distribution du film lacrymal et à l’évacuation des larmes vers les points lacrymaux

Au cours du développement embryonnaire, les paupières supérieures et inférieures sont fusionnées. Chez le chien et le chat, cette fissure palpébrale est encore scellée à la naissance, le pont tissulaire dans la fissure palpébrale entre les bords palpébraux régressant classiquement entre 10 et 14 jours post partum. Une perméabilité de la taille d'un trou d'épingle au niveau du canthus médial peut être le premier signe d'une séparation ultérieure. Cette période d’ankyloblépharon physiologique est nécessaire chez nos carnivores domestiques en raison de l'immaturité relative des tissus oculaires et des annexes à la naissance.

II- Description

L'ophtalmie néonatale est une forme d’ankyloblépharon pathologique. Cette affection se manifeste par des paupières fermées et bombées en raison de l'exsudat qui s'accumule derrière les paupières collées. Cette kératoconjonctivite est le plus souvent infectieuse (Chlamydophila felis ou l’herpèsvirus félin chez les chats, et Staphylococcus spp. chez les chiens ou les chats) qui peut résulter d'une infection intra-utérine ou du tractus génital de la mère pendant la mise bas. Les bactéries pénètrent alors dans le sac conjonctival, probablement par l'ouverture du canthus médial. Le premier signe de sa présence peut être un bourrelet de matière purulente au niveau du canthus médial et des paupières bombées. La fissure de la paupière doit être ouverte avec précaution et sans délai, faute de quoi la glande lacrymale, la cornée, voire le globe entier, peuvent être endommagés de manière irréversible.

III- Traitement

Le traitement consiste donc à ouvrir manuellement (par massage à l’aide de compresses chaudes) ou mécaniquement les paupières à l’aide d’un petit clamp hémostatique à partir du canthus médial dans le sillon de la future fissure. Le clamp peut alors être délicatement ouvert dans cette position, mais ne doit pas être refermé lorsqu'il est inséré entre les paupières, afin d'éviter d'endommager les structures oculaires superficielles. En cas d’échec, une petite incision au canthus médial avec la pointe d’un scalpel peut être nécessaire suivi d’une ouverture des paupières à l’aide d’un ciseau de Severin – Stevens ouvert le long de la ligne de séparation entre les deux bords de la paupière. Attention cependant à ne pas toucher la cornée ni fermer les ciseaux qui risquerait de couper les paupières. Le sac conjonctival peut être prélevé pour déterminer la cause de l'infection et effectuer un antibiogramme. Une fois les paupières écartées, la surface oculaire doit être abondamment irriguée avec du sérum physiologique ou une solution de povidone iodée diluée (1/50) et la cornée doit être examinée pour vérifier l'absence d'ulcération. Une pommade antibiotique topique à large spectre est appliquée quatre à six fois par jour pendant 10 à 15 jours, et un traitement lubrifiant topique est conseillé jusqu’à l’acquisition d’une production lacrymale normale.

IV- Pronostic

Le pronostic doit rester réservé car l’ouverture prématurée de la fissure palpébrale s'accompagne généralement d'une kératoconjonctivite d'exposition et de complication cornéenne ulcérative parfois sévère (pouvant évoluer vers une perforation cornéenne) en raison de l’immaturité des structures oculaires et notamment des glandes lacrymales. Ceci justifie l’utilisation d’un traitement lubrifiant topique pour protéger les surfaces oculaires. Une tarsorraphie temporaire avec des sutures longues et ajustables peut être nécessaire, en particulier si l’ophtalmie néonatale apparait dans les premiers jours de vie.

Pas de conflit d'intérêt déclaré.