3 conférences (seules sont affichées les conférences pour lesquelles un texte a été fourni).

> Attendre que ça passe ou soigner ? Quand référer ?

Muriel MARION
GECAF
Marseille

I- Introduction

Connaître les limites de ses capacités d’intervention est une preuve de compétence et en aucun cas un aveu d’incompétence. Il est important en comportement comme dans n’importe quelle autre discipline médicale de pouvoir placer la limite de ses interventions en amont de la demande . L’anticipation permet de ne pas se trouver pris au dépourvu, d’éviter de se lancer dans des prises en charge qui n’auraient pas été engagées si le temps de la réflexion avait eu lieu, ou à l’inverse de ne pas systématiquement référer ou botter en touche sur des cas ou un accompagnement de première intention a tout à fait sa place.

II- L’animal

1. Âge

L’âge du chiot ou du chaton est un élément important à prendre en compte. La proximité de la puberté est le signe qu’il est préférable d’agir vite. Beaucoup de maladies voient leur pronostic considérablement aggravé par le passage de la puberté. Il est donc important à ce moment là de ne pas prendre le risque de perdre du temps. C’est également l’âge de l’autonomie (chien et chat) et du positionnement social pour les espèces sociales (chien) et même si tout est toujours modifiable en terme de relation, un bon départ est souvent préférable.

Si du temps est encore présent avant la puberté, une première intervention avec un point des résultats obtenus au bout de 3 à 4 semaines est une très bonne option.

Attention également lors des visites d’adoption, si les symptômes sont déjà très présents un avis extérieur peut être une aide précieuse si une rupture d’adoption est à envisager avant que l’attachement des deux côtés ne soient trop construit (ex personne âgée sous anticoagulant et jeune HSHA chat ou chien) ou avant la survenue d’un accident grave (chien dyssocialisé primaire de futur grand format).

2. Gravité supposée du cas

Comme pour n’importe quelle autre discipline médicale, la gravité supposée du cas peut conduire à référer. La difficulté est alors d’identifier la gravité. Lorsque de l’agression est présente, en fonction du format de l’animal et de la présence éventuelle de personnes vulnérables un renvoi précoce vers un confrère référent est une bonne façon de protéger le praticien. Les propriétaires n’ont pas d’obligation à suivre vos préconisations, mais vous avez un devoir d’information.

Lorsque le danger ne vous paraît pas important, une première prise en charge permet de vérifier si l’évaluation que vous avez faites du cas est pertinente. Certaines consultations peuvent donner la sensation d’un cas simple, sans danger ni gravité réelle et pourtant la prise en charge s’enlise. Peut-être avez-vous sous évalué la complexité du cas. Cela n’est pas un véritable problème, sauf si cela conduit des propriétaires à renoncer à traiter pensant que « rien ne marchera » « on a déjà tout tenté ». Prévoir dès la première consultation que cette éventualité peut exister permet de préparer la suite. Vouloir promettre que cela sera facile et que le succès est certain pour motiver les propriétaires à commencer la prise en charge peut-être une stratégie gagnante mais peut aussi fermer les portes d’un deuxième avis pour la suite. Pour ceux qui souhaitent pratiquer cette discipline, comme pour n’importe quelle autre, il faut pourtant se lancer un jour pour mettre en pratique ce qui a été appris. Fixer dès le départ des points réguliers de contrôle permet de suivre le cas. Si vous savez ce qui est attendu comme résultat, en combien de temps cela vous permet de décider de continuer le suivi ou de référer si les attendus ne sont pas au rendez-vous. Prévenez vos clients que cette possibilité existe. Ainsi si cela se produit, ils ne seront pas surpris.

3. Risque d’abandon

Si dès l’évocation des troubles du comportement l’exaspération ou la peur des propriétaires sont très présentes, il est important d’oser poser la question « avez-vous déjà songé à ne pas le garder dans votre foyer ».Si l’hypothèse d’un abandon (ou d’une ré-adoption) est déjà apparue, référer l’animal rapidement est souhaitable. Si la question de l’abandon étonne ou « choque » les propriétaires, du temps est disponible, leur patience et l’attachement ne sont pas érodés, lancez vous si les autres critères de décisions de la prise en charge sont remplis.

III- Le vétérinaire

1. Ce que vous pensez savoir et ce que vous savez

a) des diagnostics

Vous êtes les seuls à pouvoir évaluer vos compétences (formation initiale, formation continue présentielle, distancielle, livresque…). Il n’est pas nécessaire d’être diplômé en comportement pour la prise en charge des cas simples. Il n’est pas non plus nécessaire de maitriser l’ensemble des diagnostics nosographiques. Connaitre les 4 principaux diagnostics des 2 espèces concernées permet déjà de travailler en comportement, exactement comme dans d’autres disciplines où vous maitrisez les entités principales et pas forcément les plus graves ou les plus rares.(cf cours de base du GECAF (Groupe d’Etude en Comportement des Animaux Familiers de l’AFVAC en comportement du chat (lapin) et du chien chaque année).

b) des pronostics

Sur les jeunes, le pronostic est souvent bon. Il existe plus de plasticité cérébrale, moins d’incohérence de communication, le pronostic est meilleur. C’est donc l’occasion idéale pour se lancer. L’élément le plus péjoratif pour le pronostic en maladie du comportement pour un jeune animal est l’attentisme, tout ce que vous pourrez faire quel que soit votre niveau de compétence sera un gain de chance. Même si vous êtes à côté vous aurez au moins lancé l’alerte auprès des propriétaires.

c) des traitements

Là encore, il n’est pas nécessaire de maitriser l’ensemble des psychotropes  et des thérapies pour pouvoir proposer des traitements aux principales affection rencontrées chez le jeune.

d) du motif de consultation

Vous pouvez choisir de ne pas consulter quand le motif de consultation est de l’agressivité vis à vis de l’humain. Dans ce cas, il est important de garder à l’esprit qu’il est possible que le motif invoqué lors du rendez-vous soit différent mais que l’animal présente aussi des conduites agressives (inavouées spontanément ou pas le motif principal de leur demande).Il faut avoir réfléchi en amont à votre attitude si au cours de la consultation une ou des conduites agressives vous sont décrites : Stopper et référer ou terminer et envisager un suivi rapide permettant de décider de continuer ou de référer.

2. Le temps

Il faut le prendre. Un conseil sur un coin de comptoir n’est pas une consultation de comportement, comme ailleurs « il a l’oeil rouge docteur, vous n’auriez pas un petit collyre », le temps de la consultation est nécessaire pour établir un diagnostic et donc un traitement. Répondre à une simple question, il faut bien sur pouvoir le faire tout en gardant présent à l’esprit que vous êtes alors dans le conseil et non dans le traitement.

Le temps de consultation est long, surtout lorsque l’on débute, cela ne doit pas être obstacle mais doit générer une facturation prenant en compte ce temps long.

3. Votre envie

Toutes les disciplines ne présentent pas le même attrait. Ce choix est individuel. Il est difficile de bien faire ce pourquoi il n’existe pas d’appétence. Cela est sans doute un peu plus vrai en médecine du comportement que d’en d’autres disciplines. Faire des consultations de comportement uniquement parce qu’il existe une demande ne sera probablement satisfaisant pour aucun des acteurs : animal, vétérinaire, propriétaire.

4. Distance thérapeutique

Les consultations de comportement nécessitent une certaine intrusion dans la vie des propriétaires. Cela peut être un motif à référer lorsque les propriétaires sont des proches ou des personnes que l’on est conduit à fréquenter dans d’autres circonstances.

IV- Les propriétaires

1. Demandes de certains propriétaires d’être réorientés

Certains propriétaires peuvent spontanément demander les coordonnées d’un vétérinaire comportementaliste par habitude de la médecine humaine où les interventions des différents soignants sont très sectorisées, parce qu’ils ne souhaitent pas évoquer avec leur vétérinaire traitant habituel des aspects de leur vie personnelle, parce qu’ils n’imaginent pas que vous réalisiez des consultations de comportement, ou pour que cela autorise une prise en charge par la mutuelle santé de leur animal.

2. Temps de consultation

Le temps d’une consultation de comportement est long, entre 1h00 et 1h30. Plus proche de 1h30 lorsque vous débutez. Vous pouvez ne pas avoir envie de passer ce temps avec certains propriétaires.

V- Conclusion

Le plus important est très certainement l’envie de faire, sans doute avant même l’acquisition d’un support théorique solide. Il ne fait aucun doute que si vous avez envie de vous lancer le besoin de formation vous sautera aux yeux très vite si votre socle de base est inférieur au minimum requis à connaître pour pouvoir être efficace. Souvent référer est une première étape avant de se lancer. Pour bien référer, pour pouvoir alerter les propriétaires, il faut déjà connaître en partie les maladies du comportement, au moins savoir qu’elles existent, avoir envie d’en parler aux propriétaires, répondre à leur questions.N’attendez pas que cela passe, faites ou proposer à vos clients un avis extérieur mais attendre est une prise de risque sans réel avantage et qui risque de mécontenter les propriétaires.

Pas de conflit d'intérêt déclaré.

> Les psychotropes chez le jeune : j'ose prescrire ou je n'ose pas ?

Claude BEATA
Dip Ecawbm
Toulon France

I- Introduction

Spécialistes en médecine du comportement ou généralistes attentifs à l’équilibre comportemental de nos patients, nous sommes tous confrontés au même dilemme : pouvons-nous, devons-nous, traiter nos jeunes patients avec des psychotropes ?

Récemment, en mars 2023, un rapport, intitulé « Quand les enfants vont mal, comment les aider » publié par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) – un organisme consultatif auprès du premier ministre alertait sur la hausse de la consommation de psychotropes (médicaments utilisés pour soigner les troubles psychiques) chez les enfants et les adolescents [1].

Entre 2014 et 2021, elle a augmenté de :

  • + 48,54 % pour les antipsychotiques ;
  • + 62,58 % pour les antidépresseurs ;
  • + 78,07 % pour les psychostimulants ;
  • + 27,7 % pour les anticholinergiques ;
  • + 9,48 % pour les dopaminergiques ;
  • + 155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs.

«  Des dizaines de milliers d’enfants sous psychotropes », voilà l’un des points soulevés par un rapport ce qui a provoqué une vive réaction des pédopsychiatres hospitalisation qui ont regretté la « diabolisation des médicaments et la stigmatisation de ceux qui les prennent », dans le journal « Le Monde » du 16 mars 2023.

Autant dire que cela ne simplifie pas notre tâche quand nous devons prendre en charge des patients jeunes, voire très jeunes. Alors réfléchissons ensemble à ce qui peut nous engager à prescrire  ou au contraire à ce qui peut nous retenir.

II- Les freins à la prescription

1. L’absence d’indication précisée chez le jeune

Beaucoup de troubles comportementaux du chien et du chat (cf tableau) sont caractéristiques de la période de développement et la prise en charge s’adresse à un animal qui n’a pas fini sa maturation physique et psychique.

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Si les spécialistes ont plus ou moins la possibilité de s’affranchir de cette limite en arguant de leur expérience clinique et des données échangées entre collègues, cela parait plus compliqué pour les généralistes qui se trouvent dépourvus, en s’en tenant aux molécules présentes sur leurs étagères, de recommandations claires. Et encore, ces molécules ont des AMM dans l’espèce canine mais pour l’espèce féline, c’est encore plus audacieux.

2. Des Résumés des Caraxctéristiques des Produits (RCP) incomplets ou très prudents

A regarder les RCP, très peu de produits se sont intéressés aux effets sur les très jeunes animaux. Souvent la limite inférieure est en poids (et au regard de la grande variabilité ethnique canine, cela ne dit pas grand-chose de l’âge. Seuls deux RCP, portant sur le Reconcile (fluoxetine) et le Sileo (Dexmedetomidine), soulignent que le produit n’a pas été testé sur des animaux de moins de 6 mois ou 16 semaines, respectivement pour chacun de ces produits.

3. Une pression sociétale

Comme cela a pu être le cas en médecine humaine, et nous l’avons souligné en tête d’article, de nombreuses personnes sont hostiles à l’idée même de donner des psychotropes à leur animal et a fortiori à leur jeune animal.

Nous recevons souvent, surtout depuis quelques mois, des chiots ou des chatons qui ont reçu des huiles de chanvre de plus ou moins bonne qualité ayant parfois causé quelques troubles digestifs mais cela est "dans l’air du temps" ou des fleurs de Bach, tous produits ayant montré peu de preuves d’efficacité mais ayant la réputation d’être « naturels ». Même en plaidant la qualité intrinsèque du psychotrope, forcément contrôlé et ayant fait les preuves de son efficacité et de sa sécurité, parfois, la résistance est forte et les scandales médicaux de toutes ces dernières années n’ont pas amélioré la réputation des laboratoires pharmaceutiques.

4. Des connaissances physiologiques et psychopharmacologiques restreintes

Il nous manque alors de pouvoir nous appuyer sur des données précises, sur le métabolisme des différentes molécules en fonction des étapes du développement cérébral pour pouvoir asseoir nos décisions sur des bases solides.

Il y a donc un immense travail à faire en médecine vétérinaire mais quand on voit quelles approximations et quelles incertitudes entourent l’utilisation de psychotropes chez l’enfant, cela relativise notre absence de connaissance.

La connaissance des enzymes du type cytochrome p450 et de tous ses  dérivés, leur calendrier de maturation, les interactions avec les hormones de croissance ou les hormones sexuelles, tout cela est peu connu en médecine humaine et inconnu chez nous [2].

Pourtant, cela n’empêche pas les pédopsychiatres, dans les troubles avec agressivité, de prescrire dès l’âge de 3 ans certains neuroleptiques de la famille des phenothiazines.

5. L’éthique du « primum non nocere »

Notre éthique médicale consiste en partie à ne pas jouer les apprentis sorciers et à ne pas prendre de risques inutiles avec nos patients. C’est ce « primum non nocere » qui retient la main de beaucoup de nos confrères au moment de prescrire des psychotropes chez le jeune.

III - Les ressorts de la prescription

Et pourtant nous prescrivons dans beaucoup de nos consultations de jeunes.

1. L’importance de pathologie comportementale juvénile et de sa prise en charge précoce

Premièrement parce qu’ils représentent une grande partie de nos patients, et cela de plus en plus grâce à la prise de conscience des confrères généralistes qui voient de plus en plus l’intérêt de la prise en charge précoce. Nos plus jeunes cas référés, qu’ils soient félins ou canins ont aujourd’hui à peine plus de deux mois et cela aurait été impensable auparavant.  Quand le vétérinaire référant et le client ont fait la démarche de consulter un spécialiste à cet âge-là c’est rarement pour des cas bénins : la prescription s’impose alors assez naturellement

2. Des RCP assez flous et le grand vide de la pharmacopée vétérinaire

Et comme nous l’avons souligné, l’absence d’indication précise dans le RCP de la plupart des produits sur l’âge minimum auquel on peut prescrire nous donne finalement une assez grande liberté tout en engageant notre responsabilité.

De plus, dès que nous traitons des affections peu connues, de l’ordre des psychoses et que nous devons faire appel par exemple à des neuroleptiques atypiques, rien n’existe dans la pharmacopée vétérinaire et nous devons alors inventer des protocoles compassionnels qui nous permettent de prendre en charge des individus qui seraient sinon voués à l’abandon et, à terme, à l’euthanasie. 

3. Une nécessité de performance

Notre discipline est encore récente. Même si les plus anciens d’entre nous pratiquent et prescrivent  depuis bientôt 40 ans, nous sommes encore en proie à la fois à une absence de reconnaissance institutionnelle (la psychiatrie n’est toujours pas enseignée dans les Ecoles Vétérinaires françaises et cela nous prive d’une capacité de recherche importante ) et à des querelles idéologiques (assez semblables à celles qui traversent la psychiatrie humaine entre psychanalystes et biologistes) qui fragilisent la position des prescripteurs. Cela nous oblige à la performance et si nos traitements n’étaient que contraignants, nous n’aurions pas beaucoup de clients : c’est le succès régulier de l’apport des psychotropes qui nous conforte dans leur utilisation. Nous les accompagnons toujours de thérapie comportementale, il ne s’agit pas de les opposer, ils sont les deux faces de la même pièce et leur synergie est garante de succès thérapeutiques encore plus éclatants et pérennes.

4. D'une connaissance empirique de plus en plus solide des effets attendus et des effets secondaires

L’utilisation depuis des décennies de certaines molécules nous permet d’annoncer avec une grande confiance  les effets majeurs attendus mais aussi les effets secondaires. Nous nous servons même de certains de ceux-ci pour mettre en place nos thérapies. La baisse d’appétit liée à la prise de fluoxétine va permettre de mettre en place beaucoup plus facilement une phase d’attente avant la distribution de nourriture chez le chien, et l’effet anticholinergique de la clomipramine,  en réduisant les mictions, va permettre, chez le chat, de pouvoir aborder la nécessaire restauration écologique (c'est-à-dire la modification du biotope) avec plus de succès.

. Tout cela, nous l’avons vécu maintenant des dizaines de fois et chaque nouveau cas vient nous apporter la preuve générale et ajouter quelques détails qui soulignent l’unicité.

5. Des connaissances scientifiques parcellaires mais concordantes sur la nécessité de soigner jeune

Depuis longtemps nous insistons sur la nécessité de prendre en charge le plus tôt possible les troubles du développement et en prescrivant des psychotropes quand cela est nécessaire. Aujourd’hui de nombreuses publications viennent conforter cette vision : les évènements stressants au cours du développement peuvent par exemple déstructurer les réseaux sérotoninergiques et certains inhibiteurs de recapture de la sérotonine peuvent jouer un rôle pour effacer des mémoires traumatiques installées ; leur utilisation précoce est recommandée et efficace.[3]

6. L’éthique de la sollicitude et du soin

Et puis il y a la souffrance psychique de tous ces jeunes animaux. Notre éthique est de les soulager. Nous nous alignons en cela sur l’éthique du care [4] venant au départ des personnels soignants qui ont mis en avant la nécessité d’une attention précise portée à la souffrance de chaque individu et à la mise en œuvre de tous les moyens à notre disposition  pour les soulager.

Chez le jeune animal, les psychotropes, bien utilisés, sont un des leviers majeurs pour éclaircir leur horizon de vie.

IV - Conclusion

Chacun se fera sa propre idée, en choisissant sa propre éthique et ses propres règles. Nous espérons être toujours plus nombreux, pour enfin pouvoir établir des cohortes, contribuer à une médecine basée sur les niveaux de preuve, à faire bénéficier nos jeunes patients de l’aide parfois indispensable des psychotropes dans les troubles du comportement.

Bibliographie

  1. Conseil de l'enfance et de l'adolescence., Quand les enfants vont mal, comment les aider. 2023, Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age. p. 172.
  2. Heuzey, M., Prescription des médicaments psychotropes chez l'enfant. Journal de pediatrie et de puericulture, 1995. 8(3): p. 169-172.
  3. Dayer, A., Serotonin-related pathways and developmental plasticity: relevance for psychiatric disorders. Dialogues in Clinical Neuroscience, 2014. 16(1): p. 29-41.
  4. Brugère, F., L'éthique du "care". Que sais-je ? 2011, Paris: PUF. 114 p.
Pas de conflit d'intérêt déclaré.

> Les repères du développement comportemental du chien et du chat

Sylvia MASSON
Clinique De La Tivollière
Voreppe France

I- Introduction : neurophysiologie du développement comportemental

Durant la phase embryonnaire, la neurogenèse est excessive et conduit à un réseau très dense de connexions. Après la naissance, en fonction des stimulations sensorielles et par un processus d’élagage synaptique, l’enchevêtrement de neurones et de synapses se simplifie et permet l’établissement de voies et de circuits cérébraux organisés et fonctionnels. Un cerveau fonctionnel résulte donc d’un juste équilibre entre la formation et l’élimination des neurones et des synapses.

Cette sélection ne se fait pas au hasard, mais en fonction des expériences de l’individu. Chaque expérience nouvelle renforce les connexions synaptiques préexistantes. Les synapses non stimulées disparaissent. Ainsi, un cerveau soumis à un environnement riche possédera un réseau de neurones plus dense et des connexions plus nombreuses qu’un autre qui aura grandi dans un environnement peu varié (voir figure 1).

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Figure 1 : élagage synaptique en fonction de la richesse de l’environnement (© No Ledge Editions, Psychiatrie vétérinaire du chien, 2023)

Les travaux de Scott et Fuller (Scott, 1962) ont permis d’identifier chez le chien les limites de ces périodes critiques. Chez le chat les études montrent que ces périodes sont plus rapides (fin de période de socialisation à 2 mois). Son statut de proie influence aussi la possibilité de le soumettre à trop de stimulations car il se sensibilise plus vite.

Ainsi, il existe deux périodes de remaniement neuronal particulièrement intense, avant trois mois et à la puberté. Grâce à ce remaniement, l’individu se spécialise et devient plus adapté à l’environnement dans lequel il évolue. Après la puberté, les phénomènes de plasticité synaptique sont largement ralentis.

II- Description chronologique du développement comportemental

1. Période prénatale

La période prénatale correspond à une neurogenèse active peu influencée par le milieu. Néanmoins, pendant la deuxième partie de la gestation, le fœtus développe des compétences gustatives. Ses voies sensorielles tactiles sont en cours de maturation. Les interactions avec la mère peuvent logiquement être perçues par le fœtus, et participer au développement.

2. Période néonatale (0-15 jours)

La période néonatale, de la naissance à l’ouverture des yeux, correspond à l’apparition progressive des canaux sensoriels. Les chiots naissent sourds et aveugles, ne régulent pas leur température interne et ont des capacités motrices limitées à la reptation. Ils sont guidés vers la mamelle de la mère par thermotropisme et par des signaux olfactifs et tactiles. L’élimination des urines et des selles n’est pas spontanée. Seul le réflexe ano-génital, déclenché le plus souvent par le léchage de cette région par la mère, la permet. Les comportements se limitent à la recherche de la mamelle pour l’alimentation et au sommeil, qui comporte une proportion importante de sommeil paradoxal.

3. Période de transition (15-21 jours)

A l’ouverture des yeux, le chiot est incapable de suivre un objet. La fin de la période de transition est marquée par l’ouverture des canaux auditifs et l’apparition du réflexe de sursaut entre 14 et 18 jours (Ashmead et al., 1986). L’élimination des urines et des selles devient spontanée, même si la mère continue de nettoyer la région périnéale et d’avaler les excrétions jusqu’au début du sevrage lacté.

Les dents commencent à sortir. Les chiots jouent maladroitement et commencent à émettre des grognements. Leur prise en gueule est sans contrôle et, même sans dents, la pression importante des mâchoires est perceptible. Ils n’ont aucune inhibition de la morsure à cet âge.

4. Période de socialisation (3 semaines - 3 mois)

La période de socialisation est une période très importante pour le développement comportemental. De nombreux apprentissages critiques se déroulent pendant ce début de vie.

Le chien catégorise son environnement. Ce terme environnement doit être compris au sens large et inclure les interactions : interactions avec la mère, interactions avec les autres chiots de la portée, interactions avec les autres espèces, notamment l’humain qui tient une place particulière dans la vie de ces animaux de compagnie.

Le jeu, qui sera d'autant plus présent que les conditions seront favorables permet de très nombreuses expériences relationnelles. La mère reste présente pour en surveiller l'issue et minimiser les dangers.

Dès le début de cette période, le processus d’empreinte qui permet l’identification à l’espèce, et le processus d’attachement se mettent en place. L'attachement maternel a une importance essentielle pour cette période. La mère peut grâce à ce processus servir de base apaisante, de modèle et de professeur. Elle est le référant et sans elle le chiot reste dans le nid, incapable d'explorer et de découvrir.

Par l'exemple, et aussi grâce à des interventions de contrôles, la mère va installer des craintes vis à vis de zones dangereuse. Elle doit aussi, avec des interventions au cours du jeu imposer des contrôles moteurs. Sans son concours, les autocontrôles seront de mauvaise qualité.

Pendant cette période, le chiot construit son seuil d’homéostasie sensorielle. Il sera plus ou moins réactif aux stimulations de l’environnement en fonction des expériences vécues et de l'influence maternelle. Plus ces expériences seront nombreuses et la réponse du chiot adaptée, plus les limites de d’homéostasie sensorielle seront larges.

Le sevrage lacté est une étape importante. Pendant la période où la mère n'accepte plus la tétée, elle commence aussi à règlementer l'accès à la nourriture solide. Pour accéder à la nourriture le chiot va émettre des postures capables d’apaiser les adultes (postures de soumission).

L’élagage synaptique peut sembler être un processus peu adaptatif, puisque le chiot perd un nombre important de neurones. Cependant, il faut plutôt le voir comme une capacité du chien à se spécialiser à l’environnement qui sera le sien. Lorsque le lieu d’élevage et le lieu après adoption sont trop différents, le jeune animal ne pourra pas s’adapter et le stress chronique finira par le faire basculer en état pathologique.

La quantité de soins maternels durant les deux premiers mois est positivement associée à de meilleures capacités d’adaptation des chiots, en particulier à de meilleures relations avec les humains à l’âge de 2 mois (Guardini et al., 2017). En revanche, lorsque l’âge d’adoption est supérieur à 9 semaines, le chiot a plus de chances de présenter des comportements de peur ou d’agression vis-à-vis des humains inconnus à l’âge adulte (Jokinen et al., 2017).

5. La période juvénile (3 mois à la puberté)

Cette période se déroule dans la famille d’adoption. Le chiot mémorise et structure ses acquis. Il explore intensément son environnement avec sa gueule : cette exploration orale n’est pas liée à des douleurs dentaires mais bien à une manière de prendre contact avec son environnement. C’est une période pendant laquelle il faut indiquer au chiot ce qui est autorisé pour lui (en le félicitant lorsqu’il joue et explore de façon adéquate) et ce qui ne l’est pas (en lui disant « non » mais surtout en lui montrant ce qu’il a le droit de faire à la place). Le chiot, en grandissant, explore progressivement avec sa truffe et la phase d’exploration orale disparaît en début de période pubertaire.

Lors des promenades l’exploration se fait en étoile.

Les expériences doivent donc être agréables et contrôlées : une immersion au milieu d’un marché ou d’une fête de famille peut être vécue comme un traumatisme pour un chiot peu sociabilisé à l’humain et risque d’aggraver ses peurs.

Le chiot grandit et doit être initié progressivement aux règles de vie de sa nouvelle famille : garder une distance pendant le repas ou les temps de sommeil des humains, aller se coucher dans son lieu de repos quand cela lui est demandé, expérimenter la solitude, attendre une autorisation pour aller manger.

6. Période pubertaire (4/10 mois – 10/24 mois)

Période de mutation qui transforme le chiot en adolescent, la période pubertaire est synonyme de grande instabilité et de grande vulnérabilité.

Ainsi, les chiens qui présentaient une certaine fragilité dans le jeune âge s’aggravent de façon brutale. Par exemple, un chiot timide avec les humains, qui ne va pas spontanément au contact, risque d’adopter à la puberté des comportements agressifs, bien plus efficaces pour obtenir l’éloignement des humains avec lesquels il n’est pas à l’aise. Cette évolution logique surprend souvent les propriétaires qui n’avaient pas noté l’inconfort du chiot.

Le jeune chien continue d’apprendre les codes sociaux, termine sa croissance et atteint la maturité sexuelle. Cette dernière est observée chez le mâle par la position patte levée adoptée pour uriner, et chez la femelle par les premières chaleurs. Les chiens stérilisés très jeunes vivent quand même une période pubertaire même si les signes comportementaux associés semblent invisibles.

Les relations avec les autres chiens deviennent matures : le jeu n’est plus le seul moyen de communiquer et une augmentation de l’agressivité vis-à-vis des congénères est fréquente : grognements voire lancer de dents lors de rencontres, largement augmentés en présence de femelles en chaleur et entre individus du même sexe. Cette étape est aussi souvent source d’étonnement pour le propriétaire.

L’autonomisation se poursuit avec une exploration qui ne se fait plus en étoile et signe l’envie d’indépendance du chien adolescent. Comme chez l’humain, les remises en question sont nombreuses et les chiens « testent les limites ». Lorsque le développement est harmonieux, les apprentissages progressifs des mois précédents conduisent naturellement le chien à être capable de respecter les règles de vie qui lui sont imposées (insertion hiérarchique) et à être capable de rester seul dans le calme (détachement).

7. Période adulte (10/24 mois – 8/12 ans)

C’est une période de stabilité comportementale. Le chien a atteint sa maturité sociale, sexuelle et comportementale. Les expériences personnelles peuvent toutefois venir modifier les comportements, de façon d’autant plus importante que les bases acquises dans le jeune âge sont fragiles.

Les remous de l’adolescence sont enfin terminés : la patience paye et les exercices qui étaient devenus difficiles sont opérationnels. Il suffit d’entretenir les acquis.

8. Période sénescente (8/12 ans - mort)

Cette période signe le déclin cognitif qui accompagne le vieillissement. Les sens sont souvent atteints et isolent socialement le chien. Les douleurs articulaires sont fréquentes. Cela participe au retrait progressif du chien des activités habituelles.

Il est important de ne pas baisser les bras et d’accompagner l’animal tout au long du vieillissement en lui procurant des relations sociales, des jeux adaptés à ses capacités physiques, des sorties plus courtes et une médicalisation adaptée pour limiter l’évolution des maladies du vieillissement.

Pas de conflit d'intérêt déclaré.